Accusé de clonage vocal par IA, le tube viral « I Run » au cœur d’une bataille pour les droits d’auteur
Le monde de la musique est secoué par une nouvelle polémique mêlant succès viral et intelligence artificielle. La chanteuse britannique Jorja Smith et son label indépendant, Famm, sont entrés en conflit ouvert avec l’artiste Haven, dont le titre à succès est accusé d’avoir plagié la voix de la star grâce à des algorithmes.
L’affaire illustre la complexité croissante de la protection du droit d’auteur à l’ère numérique. Tout a commencé avec l’ascension fulgurante du morceau « I Run » sur les plateformes de streaming, propulsé par une popularité massive sur TikTok en octobre dernier. Le titre a même atteint la onzième place des charts Spotify aux États-Unis. Cependant, ce succès a été brutalement interrompu lorsque le label Famm, accompagné par les grandes instances de l’industrie musicale (RIAA et IFPI), a obtenu le retrait de la chanson. Ils accusent Harrison Walker, le créateur derrière le pseudonyme Haven, d’avoir utilisé l’intelligence artificielle pour cloner le timbre vocal distinctif de Jorja Smith sans son consentement.
Si le morceau a depuis refait surface sur les plateformes dans une nouvelle version interprétée par une chanteuse bien réelle, Kaitlin Aragon, la colère du label ne retombe pas. Famm soutient que les deux versions, l’originale synthétique et la nouvelle interprétation humaine, continuent de violer les droits de l’artiste britannique. Le label estime que la structure et la composition profitent injustement du travail de Jorja Smith et de ses collaborateurs habituels. Pour la maison de disques, le préjudice est double : une usurpation d’identité artistique et une exploitation commerciale non rémunérée d’un style qui ne leur appartient pas.
Les accusations du label vont au-delà de la simple similitude sonore ; elles visent également la stratégie marketing de Haven. Famm pointe du doigt une volonté délibérée d’entretenir la confusion chez les auditeurs. Pour preuve, ils soulignent l’utilisation du hashtag #jorjasmith sur les vidéos promotionnelles TikTok de l’artiste. De plus, Harrison Walker aurait tenté de contacter le label pour proposer un remix officiel avec la star, une manœuvre perçue par l’entourage de la chanteuse comme une tentative de « blanchiment » pour légitimer a posteriori l’utilisation frauduleuse de sa voix.
Pour sa défense, Harrison Walker a admis auprès du magazine Billboard avoir eu recours au logiciel d’intelligence artificielle Suno. Il conteste toutefois l’intention de copier spécifiquement Jorja Smith. Selon lui et son co-auteur Jacob Donaghue, l’outil n’a été utilisé que pour transformer une voix masculine en une voix à « tonalité féminine » générique. Cette explication ne convainc pas le label, qui exige désormais une part des royalties générées par le titre. Famm réclame également que les revenus soient partagés avec les auteurs dont les œuvres ont servi à entraîner l’IA, et milite pour un étiquetage obligatoire des contenus générés artificiellement afin d’éclairer le consommateur.
Ce conflit survient dans un contexte industriel particulièrement mouvant, où les frontières entre interdiction et collaboration deviennent floues. Si les majors comme Universal, Sony et Warner ont attaqué la start-up Suno en justice en 2024 pour violation de droits d’auteur, la stratégie semble évoluer vers le compromis. Warner Music a récemment surpris en signant un accord de licence avec cette même entreprise, permettant à ses artistes de prêter leur voix et leurs compositions à l’IA en échange de rémunération et de contrôle. Universal a emboîté le pas en s’alliant avec Udio, un concurrent, préfigurant un futur où l’industrie musicale tentera d’encadrer l’IA plutôt que de la combattre frontalement.
